La Chambre des députés [italienne] s’apprête à voter la réforme de l’aménagement du territoire, par un texte approuvé par la VIII ème Commission parlementaire. Ce texte, en grande partie dû au Rapporteur de cette Commission, le député Lupi, abroge le principe même de l’aménagement public du territoire. Il illustre une des conquêtes principales de la pensée libérale qui a touché tous les pays développés, et annule les résultats d’avancées de civilisation et de bien-être en ce qui concerne l’urbanisme et la gouvernance des territoires, obtenues ce dernier demi-siècle grâce aux forces sociales, politiques et culturelles italiennes.
Le projet de loi remplace l’expression «les actions des autorités» (l’action publique), c’est-à-dire l’activité publique normale de planification, par «les actions de négociation avec les parties intéressées». Le rapport justificatif de la loi spécifie que les parties intéressées ne sont pas – comme on pourrait le souhaiter – l’ensemble des citoyens qui ont le droit de bénéficier d’un milieu urbain agréable et salubre, mais au contraire le cercle restreint des acteurs économiques. Un droit collectif est donc remplacé par une somme d’intérêts particuliers, parmi lesquels domine les intérêts immobiliers. Les lieux de la vie commune, la ville et le territoire sont confiés à ce qui arrange le marché.
Le projet de loi supprime l’obligation de réserver des superficies déterminées aux besoins en espaces verts, en services collectifs (écoles, santé, sport, culture, loisirs) et en espaces de vie commune des citoyens, obtenus il y a des dizaines d’années grâce à un engagement massif des organisations culturelles, et syndicales, du mouvement associatif et féministe, et des forces politiques attentives aux exigences de la société. Les normes urbanistiques sont en fait remplacées par la recommandation suivante : «garantir d’une façon ou d’une autre un niveau minimum» d’équipements et de services «y compris avec le concours de personnes privées». L’obligation de respect quantitatif des normes urbanistiques est déjà un fait dans les communes où une planification urbaine adéquate est un acquit consolidé, mais est un objectif encore très éloigné dans de très nombreuses villes italiennes.
Le projet de loi supprime la tutelle du paysage et des monuments historiques du champ de la planification des villes et du territoire. En contradiction avec une famille de pensée qui, depuis plus d’un demi-siècle s’efforçait, grâce à la planification, d’intégrer en une vision publique unique, les divers aspects et intérêts répartis sur le territoire ; en contradiction avec les orientations culturelles et législatives successives, les paysages et les transformations du territoire sont séparées, soumises à des lois différentes, à des personnes différentes, à des instruments différents. Il n’y a pas de doute sur à qui reviendra le dernier mot en cas de conflit : certainement pas à ceux qui représentent les musées et le «Bel Paese», mais bien à ceux qui investissent, qui occupent, qui transforment, aux «malades du béton armé», qu’ils soient publics ou privés.
Nous nous sommes borné à souligner les aspects les plus négatifs du projet de loi, ceux qui nous semblent suffisants pour exprimer un jugement préoccupé et sévère : préoccupé en ce qui concerne les effets d’une telle loi, sévère non seulement à l’encontre de ceux qui l’ont proposé, mais aussi à l’encontre de ceux qui ne l’ont pas contestée.
Le silence de la presse est grave.
L’attitude «minimaliste» des groupes parlementaires de l’opposition est grave. Dans le meilleur des cas, ceux-ci se sont bornés à présenter des petits amendements et à exprimer un désaccord partiel devant un projet à orientation radicalement destructrice.
Le silence des partis politiques est grave. Ceux-ci vont se présenter à nouveau aux élections sans avoir exprimé avec clarté leurs positions (encore moins leurs décisions), face à un projet aussi lourd de conséquences pour l’avenir du pays, pour les conditions de vie de ses habitants, et pour le destin même de la démocratie.